mercredi 29 février 2012

Episode 29

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Chez ses cousins, l’atmosphère était électrique. Des nouvelles confuses parvenaient des quatre coins du pays. Il semblait que le gouvernement avait commencé à cataloguer ses citoyens hébraïques. Dans quel but ? Pour l’instant, on l’ignorait, mais David commençait à se demander s’il ne ferait pas mieux de s’en aller avec sa famille et ses biens, pour ne pas se faire surprendre, un jour, pendant son sommeil. Salomon, débarquant au milieu de tout cela, n’osait pas mettre sur le tapis l’histoire de Hershe, qui lui semblait quelque peu dérisoire par rapport à ces préoccupations familiales. ” (Alice Bé)


(Suite de l’histoire n°2) “Monsieur Sheep s’arrêta, comme frappé par la foudre, et regarda Heisenberg. Sheep avait voyagé et, malgré la très haute estime en laquelle il se tenait lui-même, estime inversement proportionnelle à celle qu’il avait pour autrui, ils sentait que la carte de visite, le manoir, tout cela avait intrigué l’ancien gendarme au point de l’amener ici - mais ne le retiendrait pas plus longtemps. Il regretta pourtant de ne pouvoir conférencer juste quelques minutes de plus, l’occasion était si rare, et il avait tant à dire. Mais, contrairement à d’autres prisonniers d’un instant, qui consentaientt à souffrir ses péroraisons, pourvu que lui souffrît qu’ils dormassent, bercés par le flux tiède de sa voix, Heisenberg pouvait partir, et Sheep ne reverrait jamais, en ce cas, son trésor.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Il me répond : "Locus, tu ne le trouves pas, c'est lui qui te trouve. Il va trop vite, il se déplace constamment. C'est impossible de savoir où il est ou comment le joindre. Moi, je n'ai pas de numéro de téléphone, je n'ai pas d'adresse, je n'ai aucun renseignement à son sujet. De fait, il est apparu comme ça un matin, il a sonné chez moi alors que je dormais encore. Il m'a dit que tu viendrais bientôt me voir, que tu me poserais des questions à ton sujet. Tu vois bien, il savait déjà tout."
– Il t'a dit pourquoi je voulais te parler ?
– Non, répond Boulier, simplement que tu voudrais le voir. Il ne m'a pas dit pourquoi.
– Et c'est tout, il ne t'a rien dit de plus ?
– Si. Il m'a encore dit de te dire : "On se retrouvera sur le pont, à cinq heures."
Boulier et moi parlons encore quelques minutes, mais quant à moi je ne le fais que pour ne pas être impoli. Dès que possible, je lui dis au revoir et je rentre chez moi.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “— On dirait qu’il s’est évanoui », murmura Antoine.
Il replia sa longue silhouette auprès de celle de l'autre géant et palpa du côté de sa blessure.
« Ça a saigné un peu… Allume la lumière… »
Coralie s’en fut du côté de l’interrupteur et l’électricité grésilla bientôt dans le filament de l’ampoule.
« Eh bien, tu n’y es pas allé de main morte, constata-t-elle en voyant la tâche sombre sous la chemise.
— Ça a dû frotter… Je ne pensais pas pouvoir vraiment le blesser avec ce petit truc…
— Oh… Et toi ? Tu es salement amoché aussi… »
Son arcade sourcilière était défoncée et une poche bleutée couvrait quasiment l’œil gauche. Mais Antoine Longin en avait vues d’autres, des bagarres, un globe trotter comme lui. À Colombo, il s’était fait rosser par de louches intermédiaires qu’il avait essayé d’entourlouper sur la vente de splendides saphirs ; à Karachi, on lui avait coupé deux doigts pour deux émeraudes ; au Liberia, il s’était fait arracher plusieurs dents pour des diamants.
« Alors un bleu… penses-tu..., grimaça-t-il virilement.” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “***

ai ! jvou parl ssaipa trai fassile dekssplikai makonssepssion dumond aila raizon pour lakel jinterviain dan ledesstain daijan on peu dir ke jeu sui kom unnsortt deupon antr laichozvuainonvu antanduainonantandu reussantiainonreussanti ankelkeusortt ainaisspri unaitainssel vital ankor kilparai souvan ojan keujeu leurportt maleur sseuki mafoi ai biain possibl silon konsidair leupeu deugou kilzon pour lavairitai ssaijan meuvoi danleur ssomaiye ailorkilseu raivaye iltrambl ilfairm laizieu ssachan kilzon vu ofon deumaim ssaijan jeukroi on peur daitainaibr on peur dusilanss on peur deulamor sseuki amonsans neussaplik pahamai visitt sse nai pa ssakeu jeudi jeudi ojan reugardai danvo tainaibr aivou vairai jeuneu di paklair mai louin vou kompreunai ? louin

***” (Dragon Ash)

mardi 28 février 2012

Episode 28

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Secrètement, il espérait retrouver chez ses cousins la mystérieuse jeune femme de la veille. Cette fille au parfum de fleur, aux cheveux de miel, qui l’attirait comme un aimant en même temps qu’elle lui faisait peur. Face à elle, il n’avait su que faire, aveugle, démuni. Il ne le savait d’ailleurs toujours pas. Qu’avait-il à lui offrir, lui, minable répétiteur habitant un appartement miteux, alors qu’elle était habituée aux châteaux ? ” (Alice Bé)


(Suite de l’histoire n°2) “Tout était oublié: la jungle, l’abeille, mes souffrances, mes angoisses. J’étais absolument possédé par ce projet. C’était compter sans cet aveugle sournois, dont la forfaiture devait bientôt me replonger dans mon cauchemar, et mettre mes projets sans dessus-dessous”. Heisenberg, sentant là s’ouvrir une nouvelle et dangereuse bifurcation dans le récit, se racla la gorge à grands bruits, épuisant ainsi avec méthodes la courte liste des effets sonores dont dispose un homme civilisé pour indiquer au bavard qu’il s'égare dans son récit.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Boulier m'ayant aperçu et reconnu pendant la pièce, il me fait signe de le suivre, après les applaudissements dispersés et vite fanés du public. J'entre derrière lui en coulisse. Il ouvre une porte et me fait entrer dans sa "loge" – en réalité une alvéole à peine assez grande pour qu'on s'y tienne à deux. Boulier commence à enlever son maquillage et va droit au but : "Tu viens me voir au sujet de Locus, c'est ça?" De près, il s'exhale de lui une sorte de magnétisme qui ne se traduit d'aucune façon à la scène : on a l'impression que tout ce qu'il va dire va être intéressant. Je comprends mieux sa carrière en lui parlant ainsi quelques minutes : en personne, les producteurs sont immédiatement séduits ; sur scène, il ne parvient pas à séduire les spectateurs. Sans manifester d'étonnement par rapport au fait qu'il sait la raison de ma visite, je lui dis que j'aimerais le voir, mais que je ne sais pas le joindre puisque je ne l'ai pas vu depuis notre séjour en Bourgogne.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “— Je voyais rien, j’ai trouvé que ça… et je l’ai juste piqué au foie avec…
— Oh ? La vieille dînette dans le débarras ?
— Aah…, gémit Jean-Jesus. Coro… Coralie… Ma fleur…
— Mais tu connais ce type ?, fit Antoine.
— Un peu… ça fait longtemps… on jouait des fois aux cow-boys et aux indiens dans le jardin.
— Il est gigantesque…
— Comme toi…
— Il est dangereux ?
— Pas autant que toi…” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “Le singe chercha distraitement des poux sur la tête d'Arrow, n'en trouva pas, lui lécha les oreilles avant d'aller tirer la queue d'un des chats. La ménagerie d'Area 51 provenait du labo, à l'exception du chien et du vautour. Ces deux-là, le désert les avait crachés un matin de février. Le chien alors gros comme deux poings et le vautour traînant par le bec ce qui restait de sa mère. Le vervet et les deux chats avaient été sorti des cages par des nuits sans van Doorn.

Les végétaliennes tirèrent leur révérence.

— Je ne sais pas comment tu fais pour les supporter, ces connards, fit Hunter.

— Bah, ils ne sont pas si méchants. Ils nous envient, au fond. Ça serait si chic d'être un peu nègre. Ou un peu native.

Du comptoir, on avait vue sur le lac, scintillant. Et la route.

— Et puis, mon pauvre : c'est quand même un bon tiers de ma clientèle. Les deux gosses sont gentils.

Van Doorn, van Doorn encagoulé errant entre les cages. Van Doorn passant ses nuits à les surveiller, eux trois, sur ses écrans de contrôle. Depuis quand ? Nom de dieu, m'a-t-il vu…

Les deux filles à présent se baignaient, nues.

— Elles n'ont peur de rien, elles. Je ne foutrais pas l'ongle du petit orteil dans cette soupe. Ils vont à l'école, les mômes ?

— Penses-tu ! C'est éducation à la maison et cataplasmes au jus de cactus.

Mad Hunter au deuxième verre de mezcal raconta les méfaits du patron.

— Quel malade ! Qu'est-ce qu'il a derrière la tête ?

Arrow avait une douleur persistante derrière l'os frontal. Trop joué cette nuit. Trop réfléchi. Trop de soleil, trop de mezcal. Les bras croisés sur la table, il s'endormit. ” (Dragon Ash)

lundi 27 février 2012

Episode 27

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Depuis, l’eau avait coulé sous les ponts. L’oncle David avait été emporté par une crise d’apoplexie pendant un bon repas, signe de sa parfaite assimilation à la culture locale, et son fils avait hérité de son patrimoine et de son sens des affaires. Il avait investi dans les techniques de communication, notamment le téléphone, et s’assurait ainsi, en plus de ses diverses propriétés et portefeuilles, un confortable revenu. Sa magnifique demeure avait appartenu à son père, qui y avait fait installer toutes les commodités modernes, et n’avait lésiné sur aucune ornementation. Un réseau électrique indépendant assurait une alimentation régulière, même pendant les coupures. Le jardin était constellé de petites mares où nageaient des tortues exotiques, et il y avait même, dans une aile de la demeure, une salle où pouvaient être données des représentations théâtrales privées. Salomon, depuis son petit appartement miteux, ne pouvait que regarder de loin, avec envie et une vague rancune à l’égard de ses propres parents, cette réussite exemplaire d’une famille juive qui avait abandonné des racines bien encombrantes pour embrasser pleinement la culture du pays dans lequel elle se trouvait. ”(Alice Bé)


(Suite de l’histoire n°2) “Sheep avait été pétrifié par le changement de ton d’Heisenberg. Sa lèvre inférieure vibrait d’indignation, de petites larmes de vexation se formaient au coin de ses yeux. Il renifla comme un enfant, soupira, puis, reprenant ses cent pas: “Oui, je comprends, bien sûr, l’important, c’est d’aller vite; moi-même...” Heisenberg toussa. Sheep s’immobilisa à nouveau, soupira à nouveau, et se coupa: “... j’avais dicté cette idée à Bragg, mon majordome, que vous avez rencontré. Il l’a ensuite placée dans mon coffre, le temps que, dans la nuit noire, je revienne à tâtons au manoir, de mon pas de sénateur, mon désespoir effacé par la joie que m’inspirait cette idée de génie.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “La pièce est extrêmement ennuyeuse ; Boulier raconte des anecdotes qui ne mènent nulle part, tente d'être spirituel mais ne parvient qu'à être assommant. Les autres spectateurs ne sont pas plus fascinés que moi ; mon voisin écrit sans cesse des textos tout en riant sous cape ; deux personnes derrière moi parlent de leurs vacances en Espagne. J'essaie désespérément d'être attentif, au cas où Boulier me demanderait mon opinion tout à l'heure. Pf. Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt du théâtre...” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “Il gémit en se recroquevillant sur lui-même. Son flanc humide le faisait souffrir ; une brèche avait été ouverte dans sa muraille et il croyait sentir la vie s’écouler hors de lui. Maintenant sa vision s’assombrissait ; il tentait en vain de fouiller les ténèbres du regard.
Une haleine chaude, toute proche, puis un cri : « Han ! C’est Jiji !… Antoine ! qu’est-ce que tu as fait !
— Mais c’est lui ! C’est quoi ce monstre ! C’est un malade ! Il m’a attaqué tout à l’heure !
— Oui, eh bien regarde ! Tu l’as poignardé ! Il… Il est en train de mourir. J’appelle les secours !
— Attends, bon… enfin, faut quand même pas déconner, je lui ai juste mis un coup de couteau de dînette…
— De… de dînette ?” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “Hunter freina prudemment à l'entrée du village et gara son car blanc cassé près du pylône de transmission téléphonique, au sommet duquel était perché un vautour — Yorick, un des familiers de Peony. Le charognard se nourrissait de poissons et de gros rats, au grand dégoût des dix-sept autres habitants du hameau. Lesquels auraient aussi aimé se débarrasser du pylône, selon eux cause des maux de tête et des crises de mélancolie qui frappaient la communauté.
— Foutaises, disait Peony : parce que franchement, avec les dépôts d'uranium de l'autre côté de la colline et les cochonneries qu'on trouve au fond du lac, il y a de quoi faire. Peony avait reconnu le car sur la route du lac et sorti son meilleur mezcal. Les deux chats, le chien — une bête roussâtre aux allures de coyote — et le singe se disputaient une énorme sauterelle dans un coin du bar. Deux des Californiennes, Bridget et Wanda, toutes les deux en maillot de bain, se tiraient les cartes en buvant du jus d'agave.— Oh ! Les ennemis du genre humain, ricanèrent-elles en voyant paraître Arrow et son compagnon. Mad Hunter marmonna une insulte en navajo. Peony cracha une graine de tournesol à deux pas du singe, qui se mit à piailler — c'était un rescapé du labo, un vervet, bestiole au poil gris et au masque charbonneux. La jolie Bridget secoua ses boucles rousses. — C'est malin. Il n'y est pour rien, le pauvre. — Tsu-tsu, susurra Arrow.Le singe lui sauta dans les bras. — Il se souvient, dit Peony. Pas vrai, Xue ?” (Dragon Ash)

samedi 25 février 2012

Page 4 (Dragon Ash)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 22 à 26 écrits par Dragon Ash forme la page 4 de son texte.]

— Katsu, je vais y aller. Il doit commencer à se poser des questions.

— Tu parles. Il dort, oui.

— Ou il a appelé la police. C'est un anxieux.

Quand elle repart, les garçons ont trouvé un vieil homme à qui offrir à boire et à fumer, ce qui ne manque certainement pas de leur donner l'impression d'être vivants, doux et forts. Les rois du monde. Jo lui a fourré dans la poche un bout de papier avec son adresse et son numéro de téléphone.

Mon pauvre garçon, je pourrais être ta mère, se dit-elle en froissant le papier, s'apprêtant à l'envoyer dans le caniveau de la rue qu'elle longe, à la recherche d'une station de métro — ou bien non, pas tout à fait quand même. Elle serre le poing. Dans la rame, une bonne moitié des passagers dort, bouche parfois grande ouverte. Les néons leur donnent l'allure de spectre. Si elle les regarde assez longtemps, elle finira par voir s'échapper leurs pensées, en volutes noires qui vous attrapent aux chevilles, vous attirent à la terre.

Pourquoi diable s'être souvenue de la plage d'Enoshima, de ces étés qui sentent déjà la mort ? Tous ceux qu'elle a connus là-bas ont disparu, sauf Katsu et Keiko. Quand elle sort à Nezu, le soleil se lève déjà. Le chameau du kebab clignote, pâle ; l'employé du matin, un Philippin, fait tourner la viande en sifflant. Etsuko prend l'escalier juste après la supérette Tsuki. De là, on voit la maison de Daisuke, un cube de béton blanc troué d'une seule et immense fenêtre. Le store est baissé. Elle se mord les lèvres. Pas de mensonge : je dirai que je suis sortie avec les garçons, que mon téléphone s'est déchargé, que j'ai trop bu.

Un pressentiment affreux la saisit devant la porte.
Elle va retrouver Daisuke mort. Dans son enfance, et pour une raison qu'elle ne s'est jamais expliquée, elle a craint, pendant des années, de retrouver ses parents pendus au balcon, une cagoule blanche sur la tête. Au lieu de quoi : Kagi Kenichi, son père, est mort d'un cancer du poumon dix ans plus tôt, tandis que Kagi Teruyo, sa mère, a épousé en secondes noces un exportateur de saké et vit tranquillement sur une des îles de la Mer intérieure, sans jamais plus donner de nouvelles. Mère, quand il faudra remuer vos os sur le brasier, peut-être saurons-nous si vous avez été heureuse loin de nous ? Etusko se déchausse et monte sur la pointe des pieds l'escalier qui conduit à leur chambre.

Non. Il est là, vivant, dort les bras en croix, la barbe aimantée par les boules pâles du lustre, le moindre de ses poils reflétant la lumière verdâtre de l'aquarium qui cohabite — maudits poissons — avec eux dans la chambre. Un petit scaphandrier y explore les grands fonds, un trident à la main. Maudit Daisuke, oui. Les poissons n'y sont pour rien. Etsuko pose la main sur le torse nu de son amant, qui frissonne.

Il a posé sur le livre qu'il était en train de lire un flacon en plastique — de la mélatonine. Sa carte de métro lui sert de marque-page. Que lit-il, l'imbécile ? Le soleil pointe sous le store, qu'il n'a pas complètement baissé.

— Daisuke.

Elle pose ses lèvres sur le thorax de l'homme, lèche sans réfléchir le méplat que fait son sternum. Criminalité et prisonniers au Japon. Mon Dieu. Elle lui baise les paupières. Puis lève un regard sidéré vers l'aquarium, où l'eau s'est mise à danser, verte, clapotante, sous les néons.

— Daisuke ! Ça bouge ! Ça tremble ! Daisuke ! Réplique !

****

Il était couché dans le sable, le bleu du ciel lui écrasant front et menton. La nuit, ô joie, la nuit n'était plus ; le monde avait repris son cours.
— Si tu veux mon avis, c'est le patron qui t'a fauché les clefs.

— Quelle idée, maugréa Arrow, qui n'avait toujours pas rouvert les yeux.

Le soleil était si intense qu'il lui semblait voir à travers ses paupières.

— Non qu'il se méfie de toi. Mais je crois qu'il mène des expériences sur nous.

— Qui ça, nous ?

— Toi, moi, et Lucia Woodland Spring.

Arrow frémit de tout son corps et roula sur lui-même. Là, tout doux. Il souleva prudemment la paupière gauche. Sable rouge. Folles irisations sur le cadran de sa montre. Dix-sept heures vingt-cinq. La droite, maintenant. L'ombre de Mad Hunter, noire et dentelée.

— Qu'est-ce qui te fait dire que le patron fait des expériences sur ses… spécimens indigènes, Hunter ?

— Chut, siffla l'autre. Tu m'accompagnes à Lake Purity ? Il faut que j'aille chercher des lignes à Area 51. Je te raconterai un truc en route.

Arrow se releva, les mains dans les poches, les yeux plissés. L'immeuble blanc du labo lui dissimulait les trois cônes bleuâtres des Three Peaks.

Mad Hunter avait racheté l'année précédente un bus scolaire dans lequel il dormait quand les nuits n'étaient pas trop chaudes. Il l'avait repeint en blanc et réaménagé. "Ça me donne un peu de liberté", expliquait-il.

— Écoute, dit-il lorsqu'ils eurent franchi l'enceinte de la base. Il y a trois jours, j'avais besoin d'un truc au labo 7, le labo des singes. Il n'était pas loin de minuit, et je suis passé chez Lucia pour qu'elle me prête sa carte. Quand je suis entré dans son bureau, j'ai vu de la lumière par la vitre. De la lumière du côté des singes…

Il alluma un cigarillo, renifla avec vigueur.
— C'était ce vieux salaud de van Doorn. Tu imagines ? Il portait une cagoule noire, et un survêtement, mais pas moyen de se tromper. Les épaules voûtées, les jambes torses… Je me suis planqué entre deux placards. Il s'est penché sur une cage et je l'ai entendu qui tripotait des trucs. Ça a duré… oh, un bon quart d'heure. Je n'en pouvais plus. En fin de compte, il est parti en fichant un coup de torche sur les barreaux de la cage, et le singe — c'est un des capucins, tu sais — a poussé un cri à vous glacer les sangs. Quel fils de pute, van Doorn. Mais ce n'est pas tout, Arrow. J'ai attendu qu'il reparte. Compté les battements de mon cœur : je t'assure, j'avais les boules. Ça fait cinq ans que je bosse ici, et je n'ai jamais vu qui ce soit se balader à minuit dans les labos avec une cagoule… Bon. Je suis passé du côté des singes. J'ai allumé la veilleuse. Cet enfoiré, il avait installé une mini-caméra et un micro au niveau de la serrure de la cage. À la bonne hauteur pour surveiller Lucia.

Arrow pianotait sur le tableau de bord.

— C'est absurde.

— C'est ce que j'ai pensé, répliqua Hunter.

Au mûrier, ils prirent la direction de Lake Purity. C'était une mauvaise piste et les vibrations du véhicule les faisaient chevroter.

— Sauf que… Sauf que je me suis rendu compte le lendemain matin qu'il en avait collé une dans mon bureau, de mini-caméra de merde.

— Mais pourquoi nous ? Tu crois vraiment qu'il a un problème avec les Indiens ?

— J'en sais rien, grommela Hunter. Je constate. Une caméra chez Lucia, une autre chez moi, cette histoire de labo bouclé de l'extérieur avec toi… J'ai jeté un coup d'œil chez Amoroso, peau de balle.

— Mince, constata Arrow d'une voix neutre. J'ai oublié mon maillot de bain. Je piquerais bien une tête pendant que tu achètes tes vers chez Ramirez.

— T'as vraiment rien dans la cervelle, Arrow.

Rien ou trop. Arrow avait posé les index sur ses paupières. Les images affluaient, torrentielles.
Vertes, phosphorescentes, trouées d'yeux noirs et luisants, des rats. Des rats de lumière. Van Doorn… van Doorn s'approchait tranquillement de son lit, une perceuse à la main. Bzzzzz… la mèche se rapprochait de sa tempe. Le sang coulait. Van Doorn passait une langue mince et violette sur des lèvres noirâtres. Deirdre agonisait dans sa cage, vidée de son sang par le vampire.

— Mais que nous veut-il ?

— Ça, mon vieux, j'en ai aucune idée.

Il fouilla dans la boîte à gant de Hunter, en tira une petite bouteille d'eau.

— Je peux ?

— Pas de souci. Attends ! Si. Souci. Il y a… un truc dedans. Ça ne va pas te plaire. Regarde sous le siège, il doit y avoir de la bière.

Tiède, certes, mais Arrow la but avec soulagement. Ils longeaient à présent Lake Purity. À l'extrémité ouest, se dressaient les quelques baraques de pisé blanc qui constituaient le village du même nom — une communauté de Californiens végétaliens l'avait presque entièrement colonisé, à l'exception de l'épicerie-bar, Area51, où Peony Taylor, une vague cousine de Hunter, mi-navajo mi-noire, vendait du matériel de chasse et de pêche, tout en exerçant les fonctions de shérif dans la zone du lac.

— Un truc ?

— Oui, je fais des expériences avec les xelimonques.

— Les quoi ?

— Chez Peony. Pas au labo. J'ai déménagé le terrarium depuis la visite de van Doorn aux singes. Je te montrerai. Des longicornes endémiques à White Canyon, c'est assez particulier.

Avec Mad Hunter, on pouvait s'attendre à tout. À Noël, dans son car scolaire, ils étaient montés à Bowler Point, se souvint Arrow, et ils avaient… Arrow s'étrangla sur sa bière. Le feu de Noël éclairait la main d'Etsuko, son genou, ses mèches noires. Accroupie, elle riait sans bruit, des larmes de joie lui coulant le long du nez.



(à suivre)

Dragon Ash

Page 4 (Louis Butin)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 22 à 26 écrits par Louis Butin forme la page 4 de son texte.]

Et le désir s'accroissait, molécule après molécule, fluide sur fluide, pensées après pensées, dans une confusion de chimie cérébrale bouleversée, dans le tumulte d'interactions neuronales exaltées ; sur sa peau courait une caresse térébenthe ; au fond de ses yeux clignotaient les passions fatales ; dans sa bouche sonnaient les cuivres tempétueux et aigres ; et il en aurait gémi ! Comme il voulait la toucher cette femme ! Ce monde inaliénable, cette planète inaccessible, ces fesses rondes et polies sous elle, cette onde fabuleuse dans la chevelure !

Il serrait les poings convulsivement et voulait hurler le nom de sa mère pour rompre le terrible sortilège.

Puis le téléphone portable de la voisine se remit à sonner.
Sa main gracieuse descendit contre le lit, attirée par l’appareil, hésita puis se reprit à mi-chemin et vint se réfugier contre sa tendre poitrine.

Jean-Jesus se chuchotait au-dedans : « tournez-vous un peu, madame… tendez-moi l’autre fesse, que je comprenne mieux les mystères de Dieu. »

Mais elle restait de profil, obstinément, figée, furieuse, solitaire.

« Rrh !, feula-t-elle, on dirait que je n’attire que des tordus... Où que j’aille, partout… Paris, Lausanne, Londres, Milan… Ssss… Que des mecs… cons ! Rrrh ! » Elle tira sur ses cheveux, les démêlant rageusement, tiquant de douleur par instants.

Jean-Jesus connaissait bien cette façon de se parler à haute voix ; lui-même faisait ainsi, quand sa mère n’était pas à la maison, qu’il ne parvenait pas à trouver le calme, que la Bible adorée lui tombait des mains…

« Je te comprends… », murmura-t-il.
Mais elle, Coralie, le comprendrait-elle ? Depuis le temps qu’ils se connaissaient, il avait peur qu’elle ne l’ait jamais compris.
Il savait le regard qu’on portait sur lui : cet air interloqué, dubitatif, ces visages cadenassés. Toujours, on le dévisageait avec méfiance. Les femmes, plus encore. On le toisait depuis les pieds jusqu’à la tête, intervalle de deux mètres d’une vision suspecte.
Coralie. Elle seule avait un peu de bienveillance pour lui.
Ses cheveux mousseux, elle les lui avait touchés une fois, sous une tente, chez les scouts, et elle lui avait dit, l’éblouissant avec sa lampe torche : « t’es marrant Jiji, t’es comme une créature de Tolkien ou de jeux de rôles, et pourtant, tu es ni un elfe, ni un nain, ni un orque… un genre d’être des bois et des fontaines… hihi, et tu parles comme un poisson, un poisson-clown : mpoh, mpoh ! » Elle avait mimé la bouche du poisson, agrandissant ses yeux tout ronds sous les lunettes.
Le lendemain, elle avait tenu un long conciliabule avec ses copines. Celles-ci ne cessaient de le désigner du menton, du coin de l’œil et même du doigt. Puis elle vint le voir : « elles ont dit que c’est toi ou elles. Désolé, Jiji… Essaie de te faire quand même des copains… Parle un peu, peut-être… Tu sais, ils vont pas te manger… »
Quinze ans plus tard… Depuis la fenêtre de sa chambre, il a compté les jours où il pouvait la voir et les jours sans elle. Il l’a vue partir à la mort de sa mère et revenir pour l’enterrement de son père.
Quand elle le croise dans les allées du lotissement, elle le regarde en plein visage, sourit, et cela rafraîchit tout le corps.
Elle ne porte plus ses grandes lunettes — celles qui, conjuguées à la lampe torche, dardaient sous la tente un regard triocle sur la nudité embarrassée de l’enfant buisson, le futur homme arbre. Ce n’est plus le même regard — un regard d’enfant curieuse — c’est un regard perçant ; il s’enfonce dans le visage et tire du crâne les pensées secrètes. Peut-être le comprend-elle, maintenant.
Mais lui, pourquoi ressent-il toujours le besoin de se cacher pour voir ?
Immobile, tremblant encore un peu, il se calmait dans la contemplation attendrie de sa belle fleur.
Il entendit un frôlement dans le couloir, comme un crissement d’insecte, puis ressentit un brusque point de douleur au foie. Il s’effondra lentement, comme un immeuble démoli aux explosifs, saisi de douleur et s’accroupissant.
« Aaaah !... », fit-il.
Il put voir frémir sa belle fleur.
À ses côtés se tenait son cruel ennemi, l’homme à la clé, un couteau à la main.


(à suivre)

Louis Butin

Page 4 (Alice Bé)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 22 à 26 écrits par Alice Bé forme la page 4 de son texte.]

Le lendemain matin, il se demanda si réellement il allait faire ce qu’il avait promis. Assis à la petite table où il prenait son petit déjeuner, il contempla d’un air pensif son bol de café au lait, comme si ce breuvage couleur de boue pouvait lui éclaircir les idées. Il lui semblait encore sentir la pression de la main de Mme Cohen dans la sienne. Il descendit dans la rue, déambula dans le quartier, de jour en jour plus délabré. Des bouts de verre jonchaient parfois le sol, reliefs d’ampoules de lampadaire qui avaient servi de cible au lance-pierre de garnements mal élevés, des inscriptions insultantes étaient peintes sur certaines vitrines. Les gens n’avaient plus de respect. Salomon se souvint soudain qu’il avait un cours à donner dans un des quartiers huppés de la ville, et entra dans un troquet pour pouvoir téléphoner. Il penserait à tout le reste plus tard ; après tout le monde de s’arrêterait pas de tourner si Hershe restait une nuit de plus en prison.
Il poussa la porte d’un troquet aux vitres poussiéreuses, dont l’enseigne indiquait, en lettres gothiques, qu’il se nommait « La clé d’or ». Rien n’était plus éloigné de ce métal précieux que l’intérieur miteux du local, mais Salomon ne s’y arrêta pas. Il demanda où se trouvait le téléphone, ainsi qu’un annuaire pour retrouver le numéro des De Quiche, chez qui il devait se rendre ce jour-là. Le patron, qui le regardait avec des yeux de poisson mort, lui indiqua le fond de la salle, et se remit à nettoyer ses verres sans grande motivation. Salomon pensa à la grande maison des De Quiche, encore plus grande que celle de ses cousins ; que ces gens-là avaient donc de la chance ! Il composa le numéro.
Une voix terne lui répondit. Celle du majordome, qu’il connaissait bien.
- Résidence De Quiche, j’écoute ?
- Bonjour, je suis Salomon Aleichem, le répétiteur, je voulais confirmer que je venais bien cet après-midi à trois heures pour la leçon de Monsieur Alphonse.
- La leçon a été annulée, Monsieur.
- Ah, bien, je… Quand Madame souhaite-t-elle que je vienne ?
- Madame n’aura plus besoin de vos services, Monsieur. Je vous souhaite le bonjour.
Salomon resta un instant immobile devant la cornette qui sonnait dans le vide. Son visage était sombre. Il sortit du troquet, les yeux rivés au sol, passa à côté d’enfants qui jouaient près d’une fontaine sans les voir. Il se sentait écrasé par une grande ombre sans visage.
A présent qu’il n’avait plus d’impératifs, il n’avait pas le choix : il lui faudrait passer chez ses cousins pour parler de l’histoire du fils Cohen. Salomon essaya de se remémorer, une par une, toutes les avanies que ce vaurien de Hershe lui avait fait subir. Il y avait eu les guêpes, bien sûr, mais aussi la fois où Hershe l’avait poussé dans une mare stagnante constellée de lentilles d’eau pour voir « si on pouvait marcher dessus », celle où il l’avait fait monter en haut d’un arbre pour voir « si la vue était jolie », arbre dont Salomon avait failli ne jamais redescendre, et bien d’autres encore. Hershe était très curieux, mais préférait faire prendre à d’autres les risques engendrés par sa curiosité. Lui s’en sortait toujours indemne, le visage illuminé d’un sourire innocent, et rentrait chez sa mère qui l’accueillait immanquablement d’un : « Hershe, lumière de ma vie, tu es rentré, grâce à Dieu ! », sans daigner d’un regard le pauvre Salomon qui, trempé, tremblant, couvert de piqûres, se faufilait juste derrière.
Les parents de Salomon, eux, n’avaient jamais vraiment pris au sérieux ces avanies infantiles. Reza et Esther étaient des gens discrets et moutonniers, venus dans ce pays pour s’y faire une place sans trop attirer les regards. Celui qui avait réussi, c’était l’oncle David, le frère de Reza, qui avait construit sa fortune au départ dans la lutte contre les nuisibles. La clé de son succès avait été de s’adresser à la bonne bourgeoisie de la ville en passant par les domestiques, qui faisaient régulièrement remarquer à leurs maîtres que les cafards ne pouvaient être admis dans une résidence aussi belle et prestigieuse que la leur. Ses premiers milliers amassés, David les avait habilement placés en bourse, pour ensuite investir dans l’immobilier, au lendemain de la Grande guerre, rachetant à leurs propriétaires ruinés par la guerre ou leurs compromissions avec l’ennemi ces mêmes maisons bourgeoises qu’il avait désinfestées quelques années auparavant.



(à suivre)

Alice Bé

Page 4 (FG)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 22 à 26 écrits par FG forme la page 4 de son texte.]


Jean Locus avait un visage carré, des paupières lourdes, un perpétuel demi-sourire aux lèvres, une morgue agaçante qui tenait à la fois du pharaon fantasque et cruel, et de l'homme de main stupide et brutal. C'était Reinette qui avait insisté pour qu'il se joigne à nous pendant nos vacances – mais nous l'avions finalement assez peu vu. Quatre, cinq, six fois par jour, il se rendait au village pour, disait-il, y téléphoner. Il y allait si souvent qu'il avait fini par se donner des ampoules aux pieds. Je ne l'ai plus revu par la suite ; Reinette me donnait quelquefois de ses nouvelles, m'apprenait qu'il revenait d'un séjour d'un an au Mali, qu'il dormait exclusivement dans un hamac, de petites anecdotes amusantes, en somme, mais sans grande importance. Elle se doutait que je n'aurais pas supporté qu'elle m'en dise plus.
Était-ce donc lui qui m'envoyait ces mystérieux messages ?
J'essaie de reconstituer mentalement la fiche d'identité de Locus, pour discerner si cela est possible. Après tout, que ce soit lui, je veux bien, mais quelles raisons aurait-il à m'écrire de la sorte ? Je sais que c'est un grand lecteur et qu'il est extrêmement cultivé ; je sais qu'il a voyagé partout dans le monde, souvent pendant des séjours très longs, de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Il disparaissait brusquement, et Reinette, quelques semaines plus tard, me montrait une carte postale venue d'Afrique ou d'ailleurs. Je sais aussi qu'on ne lui a jamais connu d'emploi stable, alors même qu'il ne semble jamais manquer d'argent, qu'il commande volontiers du champagne dans les restaurants, etc. Je sais enfin – en tout cas, c'est ce que prétend Reinette – que nul ne sait où il habite et que personne n'est jamais allé chez lui. Moi, j'ai toujours interprété cela comme signifiant que c'est un fils à papa et qu'il ne veut pas que ses amis sachent qu'à 31 ans il habite toujours chez ses parents. Il ne m'a donc jamais intéressé. Mais il est peut-être temps que je change d'avis, que je révise mon opinion : Jean Locus détient peut-être la clé.
Idéalement, dès que l'avion aura atterri, j'essaierai donc de prendre contact avec lui. Mais comment faire ? Je n'ai aucun moyen de le joindre ; la seule qui le sache est Reinette, et elle ne répond plus à mes messages. En fait, à bien y penser, je ne sais même plus très bien à quoi il ressemble : si je le voyais par hasard dans la rue, est-ce que je le reconnaîtrais ?
Je regarde, par le hublot, ce ciel perpétuellement radieux qui est celui des hautes altitudes. Là-bas, loin en dessous de nous, s'étale un grand tapis de nuages. Voilà, c'est décidé, il faut que je retrouve Jean Locus. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis persuadé que lui seul peut me dire, m'expliquer la situation. Lui seul peut me dire pourquoi Reinette, normalienne, spécialiste des affaires étrangères, a brusquement démissionné de son poste d'enseignant-chercheur ; lui seul peut me dire ce qu'elle fait avec un réalisateur qui se spécialise dans les films d'aventure ineptes.Certes, même si je réussis à trouver Locus, il n'aura peut-être rien à me dire ; il ne me dira peut-être que des évidences. Il ne me permettra peut-être que de me prouver à moi-même que mon imagination est trop active, que je m'invente des histoires à dormir debout.
Les hôtesses passent dans les couloirs et offrent des verres d'eau ; en même temps, un soudain sentiment d'inconfort envahit tous les passagers : l'avion a amorcé sa descente, nous arrivons. Les nuages étant moins nombreux, on peut même apercevoir les arbres, les routes, les champs.
Le seul avec qui j'ai gardé quelque contact, c'est Boulier, celui qui était l'amant de Reinette. Il est devenu acteur de théâtre, et joue des pièces médiocres dans des théâtres minuscules sur le boulevard Montparnasse. Comme il est un éternel optimiste, il écrit aussi, et il espère toujours devenir un grand dramaturge. Je crois que j'ai son numéro de téléphone ; sinon, une rapide recherche sur internet me suffira pour trouver son lieu de travail actuel.
Deux jours plus tard, je me retrouve à faire la queue devant l'entrée d'un théâtre, un billet à la main. "La Flèche et le Mouton", écrit par Lucien Boulier, mis en scène par Lucien Boulier, avec Lucien Boulier dans le rôle de Lucien. Mon intention est d'aller le voir après la pièce, de lui proposer de prendre un cocktail, et d'amener subtilement, discrètement, la conversation vers les sujets qui m'intéressent. Je prends sur mon siège. Mes semelles collent au plancher. J'essaie de ne pas penser aux insectes en tout genre qui doivent proliférer en ce lieu perpétuellement sombre et humide. Le rideau se lève sur un décor minimaliste : une marguerite en plastique, dans un pot, au centre de la scène, et, au fond, une porte ornée d'une énorme serrure. Boulier fait son entrée, côté cour.

(à suivre)

FG

Page 4 (David M.)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 22 à 26 écrits par David M. forme la page 4 de son texte.]

Il soupira. Les explorateurs des temps futurs qui découvriront ce mausolée ne sauront que penser de ce fatras d’objets ramenés de voyages et collés sans logique les uns aux autres. Heisenberg espérait que ces profanateurs de tombes ne trouveraient pas son squelette, assis dans la position du penseur de Rodin, sur ce même fauteuil. Monsieur Sheep lui lâcha enfin l’épaule et, tout absorbé par la contemplation de sa propre grandeur, se mit à marcher de long en large, maudissant la terre entière. Heisenberg décida de tenter une échappée. Il sursauta, comme si son téléphone avait vibré. plongea la main dans sa veste, s’excusa, s’apprêtait à expliquer la nécessité de prendre un appel important, appel qui lui imposerait de partir sur-le-champ, ce qui ne l’empêcherait bien sûr pas de reprendre contact avec Monsieur Sheep, car il était assurément très intéressé par cette affaire, qu’il ne manquerait pas d’accepter, bien sûr, à condition toutefois d’en avoir le temps, car il était tout de même très sollicité. Il regarda l’écran de son téléphone - qui lui indiquait qu’il était impossible de se connecter au réseau. Sheep était revenu vers lui, collant presque son visage au sien et, souriant d’un air entendu: “On ne capte pas ici. J’ai fait installer un brouilleur pour des questions de sécurité”.

Heisenberg se demanda ce qui lui avait pris d’accepter ce rendez-vous. Etait-ce cette carte de visite énigmatique, dont l’aspect artificiellement parcheminé, tout en lui laissant espérer une mission rémunératrice, avait touché son goût pour les vieilles choses? Etait-ce l’invitation à se rendre dans un manoir, dont, à la seule évocation, il avait imaginé chaque escalier, façade et tableau? Ou était-ce simplement cette passion du mystère, dont il ne parvenait pas, même retraité, à se défaire?

Il conservait cette obsession de la vérité, cette fascination pour l’inconnu et cet espoir de clarté qui l’avaient poussé, sa carrière entière, comme un torrent qui ne connaîtrait ni retenue, ni barrage, à enquêter, interroger, questionner, analyser, transcrire et conjecturer. Il craignait la personne de Sheep. Mais il se faisait fort de résoudre son affaire. Il se redressa.

“Monsieur Sheep. Dîtes-moi ce que je peux faire pour vous.” Sheep parut surpris de la sérénité retrouvée d’Heisenberg. “Je bien vous le dire, mais vous me pressez trop; je dois, pour parvenir à ma conclusion, emprunter d’autres détours, d’autres chemins qui, en apparence seulement, ne mènent nulle part.”

“Monsieur Sheep. Je comprends votre souci de ne rien me cacher, je l’apprécie, même. Mais plus vite mon enquête commencera, plus vite elle finira. Qui vous a volé? Que vous a-t-il volé? Et pourquoi s’adresser à moi - et non à la police?”

(à suivre)

David M.

Seuil 4

La Team One est arrivée au terme du quatrième cycle d'épisodes. Les épisodes 22 à 26 de chacun ont été assemblés et mis en ligne:

  1. La page 4 du texte d'Alice Bé;
  2. La page 4 du texte de David M.;
  3. La page 4 du texte de FG;
  4. La page 4 du texte de Louis Butin;
  5. La page 4 du texte de Dragon Ash;
Bravo aux auteurs!

Les épisodes 27 sont en préparation.

vendredi 24 février 2012

Episode 26

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “ Les parents de Salomon, eux, n’avaient jamais vraiment pris au sérieux ces avanies infantiles. Reza et Esther étaient des gens discrets et moutonniers, venus dans ce pays pour s’y faire une place sans trop attirer les regards. Celui qui avait réussi, c’était l’oncle David, le frère de Reza, qui avait construit sa fortune au départ dans la lutte contre les nuisibles. La clé de son succès avait été de s’adresser à la bonne bourgeoisie de la ville en passant par les domestiques, qui faisaient régulièrement remarquer à leurs maîtres que les cafards ne pouvaient être admis dans une résidence aussi belle et prestigieuse que la leur. Ses premiers milliers amassés, David les avait habilement placés en bourse, pour ensuite investir dans l’immobilier, au lendemain de la Grande guerre, rachetant à leurs propriétaires ruinés par la guerre ou leurs compromissions avec l’ennemi ces mêmes maisons bourgeoises qu’il avait désinfestées quelques années auparavant.” (Alice Bé)


(Suite de l’histoire n°2) ““Monsieur Sheep. Je comprends votre souci de ne rien me cacher, je l’apprécie, même. Mais plus vite mon enquête commencera, plus vite elle finira. Qui vous a volé? Que vous a-t-il volé? Et pourquoi s’adresser à moi - et non à la police?”” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Deux jours plus tard, je me retrouve à faire la queue devant l'entrée d'un théâtre, un billet à la main. "La Flèche et le Mouton", écrit par Lucien Boulier, mis en scène par Lucien Boulier, avec Lucien Boulier dans le rôle de Lucien. Mon intention est d'aller le voir après la pièce, de lui proposer de prendre un cocktail, et d'amener subtilement, discrètement, la conversation vers les sujets qui m'intéressent. Je prends sur mon siège. Mes semelles collent au plancher. J'essaie de ne pas penser aux insectes en tout genre qui doivent proliférer en ce lieu perpétuellement sombre et humide. Le rideau se lève sur un décor minimaliste : une marguerite en plastique, dans un pot, au centre de la scène, et, au fond, une porte ornée d'une énorme serrure. Boulier fait son entrée, côté cour.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “Immobile, tremblant encore un peu, il se calmait dans la contemplation attendrie de sa belle fleur.
Il entendit un frôlement dans le couloir, comme un crissement d’insecte, puis ressentit un brusque point de douleur au foie. Il s’effondra lentement, comme un immeuble démoli aux explosifs, saisi de douleur et s’accroupissant.
« Aaaah !... », fit-il.
Il put voir frémir sa belle fleur.
À ses côtés se tenait son cruel ennemi, l’homme à la clé, un couteau à la main.” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “Vertes, phosphorescentes, trouées d'yeux noirs et luisants, des rats. Des rats de lumière. Van Doorn… van Doorn s'approchait tranquillement de son lit, une perceuse à la main. Bzzzzz… la mèche se rapprochait de sa tempe. Le sang coulait. Van Doorn passait une langue mince et violette sur des lèvres noirâtres. Deirdre agonisait dans sa cage, vidée de son sang par le vampire.

— Mais que nous veut-il ?

— Ça, mon vieux, j'en ai aucune idée.

Il fouilla dans la boîte à gant de Hunter, en tira une petite bouteille d'eau.

— Je peux ?

— Pas de souci. Attends ! Si. Souci. Il y a… un truc dedans. Ça ne va pas te plaire. Regarde sous le siège, il doit y avoir de la bière.

Tiède, certes, mais Arrow la but avec soulagement. Ils longeaient à présent Lake Purity. À l'extrémité ouest, se dressaient les quelques baraques de pisé blanc qui constituaient le village du même nom — une communauté de Californiens végétaliens l'avait presque entièrement colonisé, à l'exception de l'épicerie-bar, Area51, où Peony Taylor, une vague cousine de Hunter, mi-navajo mi-noire, vendait du matériel de chasse et de pêche, tout en exerçant les fonctions de shérif dans la zone du lac.

— Un truc ?

— Oui, je fais des expériences avec les xelimonques.

— Les quoi ?

— Chez Peony. Pas au labo. J'ai déménagé le terrarium depuis la visite de van Doorn aux singes. Je te montrerai. Des longicornes endémiques à White Canyon, c'est assez particulier.

Avec Mad Hunter, on pouvait s'attendre à tout. À Noël, dans son car scolaire, ils étaient montés à Bowler Point, se souvint Arrow, et ils avaient… Arrow s'étrangla sur sa bière. Le feu de Noël éclairait la main d'Etsuko, son genou, ses mèches noires. Accroupie, elle riait sans bruit, des larmes de joie lui coulant le long du nez.” (Dragon Ash)

jeudi 23 février 2012

Episode 25

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “A présent qu’il n’avait plus d’impératifs, il n’avait pas le choix : il lui faudrait passer chez ses cousins pour parler de l’histoire du fils Cohen. Salomon essaya de se remémorer, une par une, toutes les avanies que ce vaurien de Hershe lui avait fait subir. Il y avait eu les guêpes, bien sûr, mais aussi la fois où Hershe l’avait poussé dans une mare stagnante constellée de lentilles d’eau pour voir « si on pouvait marcher dessus », celle où il l’avait fait monter en haut d’un arbre pour voir « si la vue était jolie », arbre dont Salomon avait failli ne jamais redescendre, et bien d’autres encore. Hershe était très curieux, mais préférait faire prendre à d’autres les risques engendrés par sa curiosité. Lui s’en sortait toujours indemne, le visage illuminé d’un sourire innocent, et rentrait chez sa mère qui l’accueillait immanquablement d’un : « Hershe, lumière de ma vie, tu es rentré, grâce à Dieu ! », sans daigner d’un regard le pauvre Salomon qui, trempé, tremblant, couvert de piqûres, se faufilait juste derrière.” (Alice Bé)


(Suite de l’histoire n°2) ““Monsieur Sheep. Dîtes-moi ce que je peux faire pour vous.” Sheep parut surpris de la sérénité retrouvée d’Heisenberg. “Je bien vous le dire, mais vous me pressez trop; je dois, pour parvenir à ma conclusion, emprunter d’autres détours, d’autres chemins qui, en apparence seulement, ne mènent nulle part.”” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Les hôtesses passent dans les couloirs et offrent des verres d'eau ; en même temps, un soudain sentiment d'inconfort envahit tous les passagers : l'avion a amorcé sa descente, nous arrivons. Les nuages étant moins nombreux, on peut même apercevoir les arbres, les routes, les champs.
Le seul avec qui j'ai gardé quelque contact, c'est Boulier, celui qui était l'amant de Reinette. Il est devenu acteur de théâtre, et joue des pièces médiocres dans des théâtres minuscules sur le boulevard Montparnasse. Comme il est un éternel optimiste, il écrit aussi, et il espère toujours devenir un grand dramaturge. Je crois que j'ai son numéro de téléphone ; sinon, une rapide recherche sur internet me suffira pour trouver son lieu de travail actuel.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “Quinze ans plus tard… Depuis la fenêtre de sa chambre, il a compté les jours où il pouvait la voir et les jours sans elle. Il l’a vue partir à la mort de sa mère et revenir pour l’enterrement de son père.
Quand elle le croise dans les allées du lotissement, elle le regarde en plein visage, sourit, et cela rafraîchit tout le corps.
Elle ne porte plus ses grandes lunettes — celles qui, conjuguées à la lampe torche, dardaient sous la tente un regard triocle sur la nudité embarrassée de l’enfant buisson, le futur homme arbre. Ce n’est plus le même regard — un regard d’enfant curieuse — c’est un regard perçant ; il s’enfonce dans le visage et tire du crâne les pensées secrètes. Peut-être le comprend-elle, maintenant.
Mais lui, pourquoi ressent-il toujours le besoin de se cacher pour voir ?” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “— C'était ce vieux salaud de van Doorn. Tu imagines ? Il portait une cagoule noire, et un survêtement, mais pas moyen de se tromper. Les épaules voûtées, les jambes torses… Je me suis planqué entre deux placards. Il s'est penché sur une cage et je l'ai entendu qui tripotait des trucs. Ça a duré… oh, un bon quart d'heure. Je n'en pouvais plus. En fin de compte, il est parti en fichant un coup de torche sur les barreaux de la cage, et le singe — c'est un des capucins, tu sais — a poussé un cri à vous glacer les sangs. Quel fils de pute, van Doorn. Mais ce n'est pas tout, Arrow. J'ai attendu qu'il reparte. Compté les battements de mon cœur : je t'assure, j'avais les boules. Ça fait cinq ans que je bosse ici, et je n'ai jamais vu qui ce soit se balader à minuit dans les labos avec une cagoule… Bon. Je suis passé du côté des singes. J'ai allumé la veilleuse. Cet enfoiré, il avait installé une mini-caméra et un micro au niveau de la serrure de la cage. À la bonne hauteur pour surveiller Lucia.

Arrow pianotait sur le tableau de bord.

— C'est absurde.

— C'est ce que j'ai pensé, répliqua Hunter.

Au mûrier, ils prirent la direction de Lake Purity. C'était une mauvaise piste et les vibrations du véhicule les faisaient chevroter.

— Sauf que… Sauf que je me suis rendu compte le lendemain matin qu'il en avait collé une dans mon bureau, de mini-caméra de merde.

— Mais pourquoi nous ? Tu crois vraiment qu'il a un problème avec les Indiens ?

— J'en sais rien, grommela Hunter. Je constate. Une caméra chez Lucia, une autre chez moi, cette histoire de labo bouclé de l'extérieur avec toi… J'ai jeté un coup d'œil chez Amoroso, peau de balle.

— Mince, constata Arrow d'une voix neutre. J'ai oublié mon maillot de bain. Je piquerais bien une tête pendant que tu achètes tes vers chez Peony.

— T'as vraiment rien dans la cervelle, Arrow.

Rien ou trop. Arrow avait posé les index sur ses paupières. Les images affluaient, torrentielles.” (Dragon Ash)

mercredi 22 février 2012

Episode 24

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Une voix terne lui répondit. Celle du majordome, qu’il connaissait bien.
- Résidence De Quiche, j’écoute ?
- Bonjour, je suis Salomon Aleichem, le répétiteur, je voulais confirmer que je venais bien cet après-midi à trois heures pour la leçon de Monsieur Alphonse.
- La leçon a été annulée, Monsieur.
- Ah, bien, je… Quand Madame souhaite-t-elle que je vienne ?
- Madame n’aura plus besoin de vos services, Monsieur. Je vous souhaite le bonjour.
Salomon resta un instant immobile devant la cornette qui sonnait dans le vide. Son visage était sombre. Il sortit du troquet, les yeux rivés au sol, passa à côté d’enfants qui jouaient près d’une fontaine sans les voir. Il se sentait écrasé par une grande ombre sans visage.” (Alice Bé)


(Suite de l’histoire n°2) “Il conservait cette obsession de la vérité, cette fascination pour l’inconnu et cet espoir de clarté qui l’avaient poussé, sa carrière entière, comme un torrent qui ne connaîtrait ni retenue, ni barrage, à enquêter, interroger, questionner, analyser, transcrire et conjecturer. Il craignait la personne de Sheep. Mais il se faisait fort de résoudre son affaire. Il se redressa.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Idéalement, dès que l'avion aura atterri, j'essaierai donc de prendre contact avec lui. Mais comment faire ? Je n'ai aucun moyen de le joindre ; la seule qui le sache est Reinette, et elle ne répond plus à mes messages. En fait, à bien y penser, je ne sais même plus très bien à quoi il ressemble : si je le voyais par hasard dans la rue, est-ce que je le reconnaîtrais ?
Je regarde, par le hublot, ce ciel perpétuellement radieux qui est celui des hautes altitudes. Là-bas, loin en dessous de nous, s'étale un grand tapis de nuages. Voilà, c'est décidé, il faut que je retrouve Jean Locus. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis persuadé que lui seul peut me dire, m'expliquer la situation. Lui seul peut me dire pourquoi Reinette, normalienne, spécialiste des affaires étrangères, a brusquement démissionné de son poste d'enseignant-chercheur ; lui seul peut me dire ce qu'elle fait avec un réalisateur qui se spécialise dans les films d'aventure ineptes.Certes, même si je réussis à trouver Locus, il n'aura peut-être rien à me dire ; il ne me dira peut-être que des évidences. Il ne me permettra peut-être que de me prouver à moi-même que mon imagination est trop active, que je m'invente des histoires à dormir debout.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “Mais elle, Coralie, le comprendrait-elle ? Depuis le temps qu’ils se connaissaient, il avait peur qu’elle ne l’ait jamais compris.
Il savait le regard qu’on portait sur lui : cet air interloqué, dubitatif, ces visages cadenassés. Toujours, on le dévisageait avec méfiance. Les femmes, plus encore. On le toisait depuis les pieds jusqu’à la tête, intervalle de deux mètres d’une vision suspecte.
Coralie. Elle seule avait un peu de bienveillance pour lui.
Ses cheveux mousseux, elle les lui avait touchés une fois, sous une tente, chez les scouts, et elle lui avait dit, l’éblouissant avec sa lampe torche : « t’es marrant Jiji, t’es comme une créature de Tolkien ou de jeux de rôles, et pourtant, tu es ni un elfe, ni un nain, ni un orque… un genre d’être des bois et des fontaines… hihi, et tu parles comme un poisson, un poisson-clown : mpoh, mpoh ! » Elle avait mimé la bouche du poisson, agrandissant ses yeux tout ronds sous les lunettes.
Le lendemain, elle avait tenu un long conciliabule avec ses copines. Celles-ci ne cessaient de le désigner du menton, du coin de l’œil et même du doigt. Puis elle vint le voir : « elles ont dit que c’est toi ou elles. Désolé, Jiji… Essaie de te faire quand même des copains… Parle un peu, peut-être… Tu sais, ils vont pas te manger… »” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “— Si tu veux mon avis, c'est le patron qui t'a fauché les clefs.

— Quelle idée, maugréa Arrow, qui n'avait toujours pas rouvert les yeux.

Le soleil était si intense qu'il lui semblait voir à travers ses paupières.

— Non qu'il se méfie de toi. Mais je crois qu'il mène des expériences sur nous.

— Qui ça, nous ?

— Toi, moi, et Lucia Woodland Spring.

Arrow frémit de tout son corps et roula sur lui-même. Là, tout doux. Il souleva prudemment la paupière gauche. Sable rouge. Folles irisations sur le cadran de sa montre. Dix-sept heures vingt-cinq. La droite, maintenant. L'ombre de Mad Hunter, noire et dentelée.

— Qu'est-ce qui te fait dire que le patron fait des expériences sur ses… spécimens indigènes, Hunter ?

— Chut, siffla l'autre. Tu m'accompagnes à Lake Purity ? Il faut que j'aille chercher des lignes à Area 51. Je te raconterai un truc en route.

Arrow se releva, les mains dans les poches, les yeux plissés. L'immeuble blanc du labo lui dissimulait les trois cônes bleuâtres des Three Peaks.

Mad Hunter avait racheté l'année précédente un bus scolaire dans lequel il dormait quand les nuits n'étaient pas trop chaudes. Il l'avait repeint en blanc et réaménagé. "Ça me donne un peu de liberté", expliquait-il.

— Écoute, dit-il lorsqu'ils eurent franchi l'enceinte de la base. Il y a trois jours, j'avais besoin d'un truc au labo 7, le labo des singes. Il n'était pas loin de minuit, et je suis passé chez Lucia pour qu'elle me prête sa carte. Quand je suis entré dans son bureau, j'ai vu de la lumière par la vitre. De la lumière du côté des singes…

Il alluma un cigarillo, renifla avec vigueur.” (Dragon Ash)

mardi 21 février 2012

Episode 23


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il poussa la porte d’un troquet aux vitres poussiéreuses, dont l’enseigne indiquait, en lettres gothiques, qu’il se nommait « La clé d’or ». Rien n’était plus éloigné de ce métal précieux que l’intérieur miteux du local, mais Salomon ne s’y arrêta pas. Il demanda où se trouvait le téléphone, ainsi qu’un annuaire pour retrouver le numéro des De Quiche, chez qui il devait se rendre ce jour-là. Le patron, qui le regardait avec des yeux de poisson mort, lui indiqua le fond de la salle, et se remit à nettoyer ses verres sans grande motivation. Salomon pensa à la grande maison des De Quiche, encore plus grande que celle de ses cousins ; que ces gens-là avaient donc de la chance ! Il composa le numéro.” (Alice Bé)



(Suite de l’histoire n°2) “Heisenberg se demanda ce qui lui avait pris d’accepter ce rendez-vous. Etait-ce cette carte de visite énigmatique, dont l’aspect artificiellement parcheminé, tout en lui laissant espérer une mission rémunératrice, avait touché son goût pour les vieilles choses? Etait-ce l’invitation à se rendre dans un manoir, dont, à la seule évocation, il avait imaginé chaque escalier, façade et tableau? Ou était-ce simplement cette passion du mystère, dont il ne parvenait pas, même retraité, à se défaire? ” (David M.)



(Suite de l’histoire n°3) “J'essaie de reconstituer mentalement la fiche d'identité de Locus, pour discerner si cela est possible. Après tout, que ce soit lui, je veux bien, mais quelles raisons aurait-il à m'écrire de la sorte ? Je sais que c'est un grand lecteur et qu'il est extrêmement cultivé ; je sais qu'il a voyagé partout dans le monde, souvent pendant des séjours très longs, de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Il disparaissait brusquement, et Reinette, quelques semaines plus tard, me montrait une carte postale venue d'Afrique ou d'ailleurs. Je sais aussi qu'on ne lui a jamais connu d'emploi stable, alors même qu'il ne semble jamais manquer d'argent, qu'il commande volontiers du champagne dans les restaurants, etc. Je sais enfin – en tout cas, c'est ce que prétend Reinette – que nul ne sait où il habite et que personne n'est jamais allé chez lui. Moi, j'ai toujours interprété cela comme signifiant que c'est un fils à papa et qu'il ne veut pas que ses amis sachent qu'à 31 ans il habite toujours chez ses parents. Il ne m'a donc jamais intéressé. Mais il est peut-être temps que je change d'avis, que je révise mon opinion : Jean Locus détient peut-être la clé.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “Sa main gracieuse descendit contre le lit, attirée par l’appareil, hésita puis se reprit à mi-chemin et vint se réfugier contre sa tendre poitrine.

Jean-Jesus se chuchotait au-dedans : « tournez-vous un peu, madame… tendez-moi l’autre fesse, que je comprenne mieux les mystères de Dieu. »

Mais elle restait de profil, obstinément, figée, furieuse, solitaire.

« Rrh !, feula-t-elle, on dirait que je n’attire que des tordus... Où que j’aille, partout… Paris, Lausanne, Londres, Milan… Ssss… Que des mecs… cons ! Rrrh ! » Elle tira sur ses cheveux, les démêlant rageusement, tiquant de douleur par instants.

Jean-Jesus connaissait bien cette façon de se parler à haute voix ; lui-même faisait ainsi, quand sa mère n’était pas à la maison, qu’il ne parvenait pas à trouver le calme, que la Bible adorée lui tombait des mains…

« Je te comprends… », murmura-t-il.” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “Elle va retrouver Daisuke mort. Dans son enfance, et pour une raison qu'elle ne s'est jamais expliquée, elle a craint, pendant des années, de retrouver ses parents pendus au balcon, une cagoule blanche sur la tête. Au lieu de quoi : Kagi Kenichi, son père, est mort d'un cancer du poumon dix ans plus tôt, tandis que Kagi Teruyo, sa mère, a épousé en secondes noces un exportateur de saké et vit tranquillement sur une des îles de la Mer intérieure, sans jamais plus donner de nouvelles. Mère, quand il faudra remuer vos os sur le brasier, peut-être saurons-nous si vous avez été heureuse loin de nous ? Etusko se déchausse et monte sur la pointe des pieds l'escalier qui conduit à leur chambre.

Non. Il est là, vivant, dort les bras en croix, la barbe aimantée par les boules pâles du lustre, le moindre de ses poils reflétant la lumière verdâtre de l'aquarium qui cohabite — maudits poissons — avec eux dans la chambre. Un petit scaphandrier y explore les grands fonds, un trident à la main. Maudit Daisuke, oui. Les poissons n'y sont pour rien. Etsuko pose la main sur le torse nu de son amant, qui frissonne.

Il a posé sur le livre qu'il était en train de lire un flacon en plastique — de la mélatonine. Sa carte de métro lui sert de marque-page. Que lit-il, l'imbécile ? Le soleil pointe sous le store, qu'il n'a pas complètement baissé.

— Daisuke.

Elle pose ses lèvres sur le thorax de l'homme, lèche sans réfléchir le méplat que fait son sternum. Criminalité et prisonniers au Japon. Mon Dieu. Elle lui baise les paupières. Puis lève un regard sidéré vers l'aquarium, où l'eau s'est mise à danser, verte, clapotante, sous les néons.

— Daisuke ! Ça bouge ! Ça tremble ! Daisuke ! Réplique !

****

Il était couché dans le sable, le bleu du ciel lui écrasant front et menton. La nuit, ô joie, la nuit n'était plus ; le monde avait repris son cours.” (Dragon Ash)

lundi 20 février 2012

Episode 22


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Le lendemain matin, il se demnda si réellement il allait faire ce qu’il avait promis. Assis à la petite table où il prenait son petit déjeuner, il contempla d’un air pensif son bol de café au lait, comme si ce breuvage couleur de boue pouvait lui éclaircir les idées. Il lui semblait encore sentir la pression de la main de Mme Cohen dans la sienne. Il descendit dans la rue, déambula dans le quartier, de jour en jour plus délabré. Des bouts de verre jonchaient parfois le sol, reliefs d’ampoules de lampadaire qui avaient servi de cible au lance-pierre de garnements mal élevés, des inscriptions insultantes étaient peintes sur certaines vitrines. Les gens n’avaient plus de respect. Salomon se souvint soudain qu’il avait un cours à donner dans un des quartiers huppés de la ville, et entra dans un troquet pour pouvoir téléphoner. Il penserait à tout le reste plus tard ; après tout le monde de s’arrêterait pas de tourner si Hershe restait une nuit de plus en prison.” (Alice Bé)



(Suite de l’histoire n°2) “Il soupira. Les explorateurs des temps futurs qui découvriront ce mausolée ne sauront que penser de ce fatras d’objets ramenés de voyages et collés sans logique les uns aux autres. Heisenberg espérait que ces profanateurs de tombes ne trouveraient pas son squelette, assis dans la position du penseur de Rodin, sur ce même fauteuil. Monsieur Sheep lui lâcha enfin l’épaule et, tout absorbé par la contemplation de sa propre grandeur, se mit à marcher de long en large, maudissant la terre entière. Heisenberg décida de tenter une échappée. Il sursauta, comme si son téléphone avait vibré. plongea la main dans sa veste, s’excusa, s’apprêtait à expliquer la nécessité de prendre un appel important, appel qui lui imposerait de partir sur-le-champ, ce qui ne l’empêcherait bien sûr pas de reprendre contact avec Monsieur Sheep, car il était assurément très intéressé par cette affaire, qu’il ne manquerait pas d’accepter, bien sûr, à condition toutefois d’en avoir le temps, car il était tout de même très sollicité. Il regarda l’écran de son téléphone - qui lui indiquait qu’il était impossible de se connecter au réseau. Sheep était revenu vers lui, collant presque son visage au sien et, souriant d’un air entendu: “On ne capte pas ici. J’ai fait installer un brouilleur pour des questions de sécurité”.” (David M.)



(Suite de l’histoire n°3) “Jean Locus avait un visage carré, des paupières lourdes, un perpétuel demi-sourire aux lèvres, une morgue agaçante qui tenait à la fois du pharaon fantasque et cruel, et de l'homme de main stupide et brutal. C'était Reinette qui avait insisté pour qu'il se joigne à nous pendant nos vacances – mais nous l'avions finalement assez peu vu. Quatre, cinq, six fois par jour, il se rendait au village pour, disait-il, y téléphoner. Il y allait si souvent qu'il avait fini par se donner des ampoules aux pieds. Je ne l'ai plus revu par la suite ; Reinette me donnait quelquefois de ses nouvelles, m'apprenait qu'il revenait d'un séjour d'un an au Mali, qu'il dormait exclusivement dans un hamac, de petites anecdotes amusantes, en somme, mais sans grande importance. Elle se doutait que je n'aurais pas supporté qu'elle m'en dise plus.
Était-ce donc lui qui m'envoyait ces mystérieux messages ?” (FG)



(Suite de l’histoire n°4) “Et le désir s'accroissait, molécule après molécule, fluide sur fluides, pensées après pensées, dans une confusion de chimie cérébrale bouleversée, dans le tumulte d'interactions neuronales exaltées ; sur sa peau courait une caresse térébenthe ; au fond de ses yeux clignotaient les passions fatales ; dans sa bouche sonnaient les cuivres tempétueux et aigres ; et il en aurait gémi ! Comme il voulait la toucher cette femme ! Ce monde inaliénable, cette planète inaccessible, ces fesses rondes et polies sous elle, cette onde fabuleuse dans la chevelure !

Il serrait les poings convulsivement et voulait hurler le nom de sa mère pour rompre le terrible sortilège.

Puis le téléphone portable de la voisine se remit à sonner.” (Louis Butin)



(Suite de l’histoire n°5) “— Katsu, je vais y aller. Il doit commencer à se poser des questions.

— Tu parles. Il dort, oui.

— Ou il a appelé la police. C'est un anxieux.

Quand elle repart, les garçons ont trouvé un vieil homme à qui offrir à boire et à fumer, ce qui ne manque certainement pas de leur donner l'impression d'être vivants, doux et forts. Les rois du monde. Jo lui a fourré dans la poche un bout de papier avec son adresse et son numéro de téléphone.

Mon pauvre garçon, je pourrais être ta mère, se dit-elle en froissant le papier, s'apprêtant à l'envoyer dans le caniveau de la rue qu'elle longe, à la recherche d'une station de métro — ou bien non, pas tout à fait quand même. Elle serre le poing. Dans la rame, une bonne moitié des passagers dort, bouche parfois grande ouverte. Les néons leur donnent l'allure de spectre. Si elle les regarde assez longtemps, elle finira par voir s'échapper leurs pensées, en volutes noires qui vous attrapent aux chevilles, vous attirent à la terre.

Pourquoi diable s'être souvenue de la plage d'Enoshima, de ces étés qui sentent déjà la mort ? Tous ceux qu'elle a connus là-bas ont disparu, sauf Katsu et Keiko. Quand elle sort à Nezu, le soleil se lève déjà. Le chameau du kebab clignote, pâle ; l'employé du matin, un Philippin, fait tourner la viande en sifflant. Etsuko prend l'escalier juste après la supérette Tsuki. De là, on voit la maison de Daisuke, un cube de béton blanc troué d'une seule et immense fenêtre. Le store est baissé. Elle se mord les lèvres. Pas de mensonge : je dirai que je suis sortie avec les garçons, que mon téléphone s'est déchargé, que j'ai trop bu.

Un pressentiment affreux la saisit devant la porte.” (Dragon Ash)

samedi 18 février 2012

Page 3 (FG)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 17 à 21 écrits par FG forme la page 3 de son texte.]


Le taxi continue à avancer à une lenteur désespérante, ce qui me laisse tout mon temps pour observer les maisons qui s'alignent le long de l'autoroute. Elles sont petites, toutes identiques les unes aux autres, mais toutes peintes dans des tons de pastel légèrement différents. Je retourne à mes réflexions. La maison de Moussart se trouvait au sommet d'une colline ; à l'époque où nous y étions, les arbres étaient sans feuilles, et la vue portait très loin sur les coteaux couverts de vignes. Quatre garçons et une fille ensemble pendant presque une semaine, l'idée, a posteriori, paraît plutôt mauvaise. Nous tournions tous autour d'elle comme des abeilles autour d'une fleur. Moi, j'étais amoureux d'elle depuis bien longtemps déjà, mais je n'avais encore rien osé lui dire.
Je crois que Reinette, par contre, ne s'intéressait à aucun d'entre nous – ou plutôt son affection envers chacun oscillait, selon les jours : je l'aime un peu, beaucoup, etc. Parfois, je croyais surprendre un regard de connivence entre elle et l'un des autres garçons, et alors une douleur soudaine me faisait grimacer. Mais l'instant d'après, elle se tournait vers moi, me proposait d'aller faire une ballade, et tout allait mieux. J'ai su depuis qu'elle passait toutes ses nuits avec Boulier, mais jamais, jamais je n'aurais pu le deviner.
Soudain le taxi, comme pris de folie, accélère brutalement, traverse trois voies et se précipite vers une sortie. "Quelle mouche vous a piqué ?", je demande au chauffeur. "C'est trop lent, je connais un autre chemin, vous allez voir", me répond-il. Nous roulons bientôt le long de vastes boulevards presque déserts, dans ce no man's land infini qu'est Los Angeles. There is no there there, écrivait Gertrude Stein, à propos de tout à fait autre chose. Renonçant de comprendre où nous allons, et ayant décidé de faire confiance au chauffeur du taxi, je me replonge dans mes réflexions. Mais presque aussitôt, je m'interromps : quel intérêt y a-t-il à chercher l'identité du dernier garçon qui nous accompagnait lors de ce séjour en Bourgogne ? En réalité, je le sais parfaitement : bien que je n'aie rien sur quoi m'appuyer pour le croire, je suis sûr que trouver son nom me permettra de trouver le lien réel qui existe entre Reinette et Argus (car, même s'il s'agit sans doute d'une certitude délusoire, je ne peux penser, je ne peux envisager qu'elle puisse être amoureuse de lui).
Je n'ai pas de montre, aussi je sors mon téléphone pour regarder l'heure. Il me reste quatre heures avant que mon avion décolle. Tout va bien.
Nous arrivons enfin à l'aéroport. Je compte bien profiter de ces heures d'attente, mais à peine installé sur un siège près de ma porte, je m'endors.
Dans l'avion, les questions continuent à m'assaillir : devrais-je me rendre à Moussart ? Mais pourquoi ? Je n'ai rien à y faire, rien à y trouver, je n'y connais personne. Devrais-je peut-être me rendre à Cannes ? De nouveau, pourquoi ? J'y ai vu Argus une fois, mais il n'y habite pas, que je sache. Non, c'est à Paris, et à Paris seulement que j'obtiendrai des réponses. Je crois qu'il faut que je prenne Reinette en filature, mais avec la discrétion la plus complète, la plus absolue. C'est le seul moyen, je crois, que j'aie de faire la lumière sur toutes ces énigmes.
Satisfait d'être parvenu à cette résolution, je feuillette un magazine, quand tout à coup mon regard est attiré par un nom : Paul Locus.
Il s'agit d'un de ces articles que l'on parcourt distraitement, pour tromper l'attente de ces interminables vols, et dans lequel nous sont présentés, sur un ton insupportablement positif, un restaurant, une tradition locale, un artiste, dans le seul but de nous donner l'envie de nous rendre dans la ville où se trouve ce restaurant, cette tradition, etc., et donc de nous faire acheter des billets d'avion. Bref, l'article que j'étais en train de lire parlait d'une boîte de nuit célèbre, appelée Le Trou de la Serrure, et dont le propriétaire se nomme Paul Locus. Locus. Tout d'un coup, j'ai très chaud, je me sens rougir : j'ai retrouvé le nom du troisième garçon. C'était Jean Locus, l'ignoble, l'exécrable Jean Locus, ce fils d'un militaire suédois et d'une danseuse indienne. Comment ai-je pu l'oublier ?


(à suivre)

FG