lundi 20 février 2012

Episode 22


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Le lendemain matin, il se demnda si réellement il allait faire ce qu’il avait promis. Assis à la petite table où il prenait son petit déjeuner, il contempla d’un air pensif son bol de café au lait, comme si ce breuvage couleur de boue pouvait lui éclaircir les idées. Il lui semblait encore sentir la pression de la main de Mme Cohen dans la sienne. Il descendit dans la rue, déambula dans le quartier, de jour en jour plus délabré. Des bouts de verre jonchaient parfois le sol, reliefs d’ampoules de lampadaire qui avaient servi de cible au lance-pierre de garnements mal élevés, des inscriptions insultantes étaient peintes sur certaines vitrines. Les gens n’avaient plus de respect. Salomon se souvint soudain qu’il avait un cours à donner dans un des quartiers huppés de la ville, et entra dans un troquet pour pouvoir téléphoner. Il penserait à tout le reste plus tard ; après tout le monde de s’arrêterait pas de tourner si Hershe restait une nuit de plus en prison.” (Alice Bé)



(Suite de l’histoire n°2) “Il soupira. Les explorateurs des temps futurs qui découvriront ce mausolée ne sauront que penser de ce fatras d’objets ramenés de voyages et collés sans logique les uns aux autres. Heisenberg espérait que ces profanateurs de tombes ne trouveraient pas son squelette, assis dans la position du penseur de Rodin, sur ce même fauteuil. Monsieur Sheep lui lâcha enfin l’épaule et, tout absorbé par la contemplation de sa propre grandeur, se mit à marcher de long en large, maudissant la terre entière. Heisenberg décida de tenter une échappée. Il sursauta, comme si son téléphone avait vibré. plongea la main dans sa veste, s’excusa, s’apprêtait à expliquer la nécessité de prendre un appel important, appel qui lui imposerait de partir sur-le-champ, ce qui ne l’empêcherait bien sûr pas de reprendre contact avec Monsieur Sheep, car il était assurément très intéressé par cette affaire, qu’il ne manquerait pas d’accepter, bien sûr, à condition toutefois d’en avoir le temps, car il était tout de même très sollicité. Il regarda l’écran de son téléphone - qui lui indiquait qu’il était impossible de se connecter au réseau. Sheep était revenu vers lui, collant presque son visage au sien et, souriant d’un air entendu: “On ne capte pas ici. J’ai fait installer un brouilleur pour des questions de sécurité”.” (David M.)



(Suite de l’histoire n°3) “Jean Locus avait un visage carré, des paupières lourdes, un perpétuel demi-sourire aux lèvres, une morgue agaçante qui tenait à la fois du pharaon fantasque et cruel, et de l'homme de main stupide et brutal. C'était Reinette qui avait insisté pour qu'il se joigne à nous pendant nos vacances – mais nous l'avions finalement assez peu vu. Quatre, cinq, six fois par jour, il se rendait au village pour, disait-il, y téléphoner. Il y allait si souvent qu'il avait fini par se donner des ampoules aux pieds. Je ne l'ai plus revu par la suite ; Reinette me donnait quelquefois de ses nouvelles, m'apprenait qu'il revenait d'un séjour d'un an au Mali, qu'il dormait exclusivement dans un hamac, de petites anecdotes amusantes, en somme, mais sans grande importance. Elle se doutait que je n'aurais pas supporté qu'elle m'en dise plus.
Était-ce donc lui qui m'envoyait ces mystérieux messages ?” (FG)



(Suite de l’histoire n°4) “Et le désir s'accroissait, molécule après molécule, fluide sur fluides, pensées après pensées, dans une confusion de chimie cérébrale bouleversée, dans le tumulte d'interactions neuronales exaltées ; sur sa peau courait une caresse térébenthe ; au fond de ses yeux clignotaient les passions fatales ; dans sa bouche sonnaient les cuivres tempétueux et aigres ; et il en aurait gémi ! Comme il voulait la toucher cette femme ! Ce monde inaliénable, cette planète inaccessible, ces fesses rondes et polies sous elle, cette onde fabuleuse dans la chevelure !

Il serrait les poings convulsivement et voulait hurler le nom de sa mère pour rompre le terrible sortilège.

Puis le téléphone portable de la voisine se remit à sonner.” (Louis Butin)



(Suite de l’histoire n°5) “— Katsu, je vais y aller. Il doit commencer à se poser des questions.

— Tu parles. Il dort, oui.

— Ou il a appelé la police. C'est un anxieux.

Quand elle repart, les garçons ont trouvé un vieil homme à qui offrir à boire et à fumer, ce qui ne manque certainement pas de leur donner l'impression d'être vivants, doux et forts. Les rois du monde. Jo lui a fourré dans la poche un bout de papier avec son adresse et son numéro de téléphone.

Mon pauvre garçon, je pourrais être ta mère, se dit-elle en froissant le papier, s'apprêtant à l'envoyer dans le caniveau de la rue qu'elle longe, à la recherche d'une station de métro — ou bien non, pas tout à fait quand même. Elle serre le poing. Dans la rame, une bonne moitié des passagers dort, bouche parfois grande ouverte. Les néons leur donnent l'allure de spectre. Si elle les regarde assez longtemps, elle finira par voir s'échapper leurs pensées, en volutes noires qui vous attrapent aux chevilles, vous attirent à la terre.

Pourquoi diable s'être souvenue de la plage d'Enoshima, de ces étés qui sentent déjà la mort ? Tous ceux qu'elle a connus là-bas ont disparu, sauf Katsu et Keiko. Quand elle sort à Nezu, le soleil se lève déjà. Le chameau du kebab clignote, pâle ; l'employé du matin, un Philippin, fait tourner la viande en sifflant. Etsuko prend l'escalier juste après la supérette Tsuki. De là, on voit la maison de Daisuke, un cube de béton blanc troué d'une seule et immense fenêtre. Le store est baissé. Elle se mord les lèvres. Pas de mensonge : je dirai que je suis sortie avec les garçons, que mon téléphone s'est déchargé, que j'ai trop bu.

Un pressentiment affreux la saisit devant la porte.” (Dragon Ash)

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