samedi 18 février 2012

Page 3 (Louis Butin)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 17 à 21 écrits par Louis Butin forme la page 3 de son texte.]


Profitant du bourdonnement de la télévision, Jean-Jesus s’approcha à pas de sioux, souple et rapide. Il se tint bientôt à l’encoignure de la porte. La lumière du téléviseur découpait sa silhouette sur le mur du couloir ; son épaisse chevelure frisée donnait à son ombre la figure d’un homme-arbre.
Devant lui, de profil, la belle fleur se tenait alanguie sur son lit, face à la télévision, dégustant quelque chose dans un pot.
« Oh, monsieur mon petit page, disait la télévision, ne suis-je pas votre altesse ? Et n’êtes vous pas un petit cancrelat qui court sur mes cuisses ? »
Lui retenait son souffle, son regard longeait les tiges pâles des jambes nues, ployées l’une sur l’autre. La belle fleur changeait de couleur avec les images de la télévision. Elle faisait tournoyer doucement sa cheville gauche où s’entrechoquaient mollement des bracelets ; l’ombre de son pied cachait parfois son visage.
Dans ses cheveux sombres elle avait mis trois longues plumes claires ajustées en éventail sur la tempe.
« Tout doux mon petit cancrelat… »
Dans la gorge du jeune homme, à intervalles brefs, la pomme d’Adam faisait des allers et retours : un, deux, trois, quatre, cinq douloureux déplacements dans la gorge… Il retenait mal sa respiration tandis que la voisine s'absorbait dans la dégustation de son pot de glace.
Quelque part, un téléphone portable sonnait.
Il vibrait comme une abeille et produisait ses blips musicaux. La voisine, languide, semblait ignorer l’appel.
Jean-Jesus chercha à situer l’engin dans la chambre. Il finit par le voir, au pied du lit, posé sur une bande dessinée cartonnée, tremblant dessus et émettant une lueur diffuse par intermittences pour attirer l’attention sur lui.
« Pfff… Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? », marmonna la jeune femme pour elle-même.
Jean-Jesus se recula dans son ombre.
Elle posa le pot de glace et se baissa pour attraper l'appareil.

« Allo ? Allo ??... Antoine ?... mais qu'est-ce que tu fabriques ?... Attends. Je ne comprends pas. "Un avion dans la tête" ?... Une pierre ?... Oui. Quoi ?!... "Un inconnu sous la lune" ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? Quoi, la serrure ? Tu es où ?... Tu ne sais pas ?... Tu as perdu les clés. Qu'est-ce qu'il y a ?... Tu ne vois plus rien ? Bon, allez, ce n'est pas drôle, là. Tu me fais peur. En plus, tu m'as laissée avec un film porno stupide. Je ne suis plus du tout excitée. Pardon ? Que je vienne te chercher dehors ? Non, je regrette. Rrrh ! Toi et tes scénarios érotiques à la manque !... Comment ça, Il est dans la maison ? »

Elle regarda furtivement de tous côtés.

« Arrête ! Arrête d'essayer de me faire peur, ça ne marche pas ! tu... tu es un sale pervers ! Je ne comprends pas pourquoi je me suis laissée attirer par un... un sale cloporte pervers ! Antoine, tais-toi ! Je ne t'écoute plus ! tu me rends les clés et je ne veux plus rien avoir à faire avec toi !»
Jean-Jesus caché dans l'ombre pouvait observer à son aise. Il la vit se recroqueviller sur son lit. Elle éteignit la télévision en soupirant.

La seule lueur du clair de lune frappait ses épaules nues. Il en observait la rondeur ; il s'imaginait toucher, caresser, découvrir un monde inconnu. Un rêve brumeux s'empara de lui. Au coeur de l'épais brouillard, dans un désert de bruyères épaisses, un feu entretenait les visions célestes, perçait la brume et naissaient des linéaments de vie, des ébauches de joie, des sourires et des éclats de voix ; une poitrine se soulevait et s'affaissait au rythme de la mer, à la respiration de la Terre.




(à suivre)

Louis Butin

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